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les promenades littéraires

récits descriptifs et poétiques autour d'un lieu que l'on connaît et que l'on redécouvre en marchant...

les classiques de la promenade 12 : Oléron blême, Victor Hugo

les classiques de la promenade 12 : Oléron blême, Victor Hugo

                                            classiques de la promenade 12

 

 

                         Oléron blême

 

 

                     Victor Hugo

 

 

 

                       Avant- propos
   Un texte vaut-il sans prétexte ? Doit-on avoir en soi quelque chose à dire pour donner valeur sûre à ce qu’on dit ? Vieux débat que la controverse sur le nouveau roman a naguère ranimé. Un vieux fond de romantisme chez moi a choisi. Et d’abord pour les promenades littéraires. Si elles ne sont pas la rencontre d’un lieu, d’un tempérament et d’une histoire, elles ont la vacuité du pittoresque, l’apprêt propret des dépliants pour touristes. Je ne rêve pas d’intrusion dans un lieu décrit si la voix qui me guide ne souffle pas l’écho de son mystère. Et je ne relis pas un texte qui n’a pas su dès l’abord me faire rêver.
   Et parfois comme un cauchemar. Ainsi de cette «  Oléron blême » que visite Hugo à son retour des Pyrénées en 1843. « Terre de brumes grises et sales »… « grève de boue »... « village malsain » aux maisons « blanchies comme des sépulcres »…. Rencontre avec des «  hommes  vêtus de gris, hâves, silencieux, gardés par des gendarmes...qui viennent mourir là quoiqu’ils ne soient pas condamnés à mort. » C’est un monde, un univers de désolation funèbre où nous entraîne Hugo sur la plus grande île de la côte Atlantique, à des encablures semble-t-il de celle, pourtant la même, que célébrera Loti avec ses « orages magnifiques » comme ceux de « la côte de Guinée », cette île surgie sur une « mer calme et bleue » avec des sables qui « miroitent au soleil ».
   Deux écrivains, deux vues déboîtées d’une même île comme celles que chaque œil prend d’un même spectacle et qui font le saisissement du relief. L’Oléron ensoleillée de Loti, on le verra, cache quelques inquiétants fantômes dans sa splendeur édénique. L’Oléron désolée de Hugo, on le pressent ici, aurait pu être un lieu d’idylle. « De jolies servantes charentaises, avec leur immense coiffe blanche qu’elles portent avec grâce, vous attendent sur le musoir »... « une bonne auberge où les murs sont blancs, les draps sont blancs ; l’hôte est cordial, l’hôtesse est gracieuse... »
   « Cette île me paraissait sinistre et ne me déplaisait pas » : le masochisme du poète fut-il jamais si simplement dit ? On est loin ici de l’artifice littéraire. On côtoie au contraire le vrai tragique et le vrai fantastique dans cette île « comme un grand cercueil couché dans la mer » où un immense voile de deuil semble couvrir tous les horizons. Pressentiment du malheur ou contrecoup ? Tout se joue à quelques heures près dans les circonstances de l’écriture. Le texte porte la date du 8 septembre 1843. Le 9 au matin, à Rochefort, attablé avec sa maîtresse au café de l’Europe, Hugo apprend en feuilletant le journal « Le Siècle » que Léopoldine, sa fille de 19 ans, vient de se noyer…
                                                                   PM
les classiques de la promenade 12 : Oléron blême, Victor Hugo
L’ÎLE D’OLÉRON
8 SEPTEMBRE
   Figurez-vous une glace appliquée sur le sol et une échelle couchée sur cette glace, ou mieux encore une fenêtre posée à plat avec son châssis et ses vitres ; donnez à cette fenêtre un quart de lieue de tour, vous avez un marais salant. Quand la vitre se dépolit, c’est que le sel se fait.
   Représentez-vous une langue de terre longue, plate, étroite, qui, vue à vol d’oiseau, apparaîtrait au regard couverte de ces immenses fenêtres laissant à peine entre elles d’étroites bandes de terre aux ajoncs et aux tamaris ; çà et là quelques prairies, quelques champs de vigne, qu’on engraisse avec des varechs et qui donnent un vin huileux et amer, quelques bouquets d’arbres, quelques sentiers ; de loin en loin, des villages blancs le long de la plage ; du côté de la France, une bordure de fortifications ; du côté de l’Océan un escarpement qu’on appelle la côte sauvage ; à la pointe sud, des dunes semées de pins qui annoncent le voisinage des grandes landes ; couvrez cette terre de brumes grises et sales qui montent des marais de toutes parts, vous avez l’île d’Oléron.
   Si, après avoir contemplé l’ensemble, vous considérez le détail, la tristesse croît à chaque pas que vous faites, et vous vous sentez étreindre peu à peu d’un morne serrement de coeur.
   Une grève de boue, un horizon désert, deux ou trois moulins qui tournent pesamment, un bétail maigre dans un pâturage chétif, sur le bord des marais les tas de sel, cônes gris ou blancs selon qu’ils sont recouverts de chaume pour l’hiver ou exposés au soleil pour sécher. Sur le seuil des maisons les filles belles et pâles, les enfants livides, les hommes abattus et frissonnants, peu de vieillards, la fièvre partout : voilà le petit monde lugubre dans lequel vous vous enfoncez.
   On n’y arrive pas aisément. Il faut le vouloir. On ne conduit le voyageur à l’île d’Oléron que pas à pas ; il semble qu’on veuille lui donner le temps de réfléchir et de se raviser.
   De Rochefort on le mène à Marennes, dans une façon d’omnibus qui part de Rochefort deux fois par jour. C’est une première initiation.
   Trois lieues dans les marais salants. De vastes plaines où s’élèvent comme deux obélisques dans un cimetière les beaux clochers anglais à aiguilles de pierre de Moise et de Marennes ; tout le long de la route, des flaques d’eau verdissantes ; à tous les champs, qui sont des marais, d’énormes clôtures cadenassées ; aucun passant ; de temps en temps un douanier le fusil au poing debout devant sa cahute de terre et de broussailles avec un visage blême et consterné ; pas d’arbres ; nul abri contre le vent et la pluie si c’est l’hiver, contre le soleil si c’est la canicule ; un froid glacial ou une chaleur de fournaise ; au milieu des marais le village malsain de Brouage enfermé dans son carré de murailles, avec ses ruines du temps des guerres de religion, ses maisons basses, blanchies comme les sépulcres dont parle la Bible, et ses spectres qui grelottent devant les portes en plein midi. [...]
   A travers ces causeries, on arrive, on amène le taille-vent, on jette le câble, on pose le pont.
   A droite une forteresse qui est une prison, à gauche une plage hideuse qui est la fièvre ; on débarque entre les deux.
   De jolies servantes charentaises, avec leur immense coiffe blanche qu’elles portent avec grâce, vous attendent sur le musoir, prennent votre valise et votre sac de nuit et s’en vont devant vous.
   Vous passez le long d’un rempart au pied duquel fourmillent toutes les attitudes du travail, quelques centaines d’hommes vêtus de gris, hâves, silencieux, gardés par des gendarmes, creusant des tranchées dans une vase infecte. Ce sont les condamnés au boulot, pauvres soldats, la plupart déserteurs nostalgiques, que la loi ne flétrit pas, qu’un code d’exception punit sévèrement, et qui viennent mourir là quoiqu’ils ne soient pas condamnés à mort.
   Tout en faisant ces réflexions, vous arrivez au Cheval Blanc, qui est l’auberge du lieu. Une bonne auberge, puisque je dis tout. On vous introduit dans une vaste chambre blanchie à la chaux, au milieu de laquelle s’avance un grand lit à baldaquin faisant promontoire à la mode du XVII° siècle. Les murs sont blancs, les draps sont blancs ; l’hôte est cordial, l’hôtesse est gracieuse ; tout convient et plaît en ce logis. Seulement ne regardez pas l’eau qu’on a mise dans votre pot-à-l’eau et qu’on appelle l’eau douce dans le pays.
   Le soir de mon arrivée à Oléron, j’étais accablé de tristesse.
   Cette île me paraissait sinistre, et ne me déplaisait pas. Je me promenais sur la plage, marchant dans les varechs pour éviter la boue. Je longeais les fossés du château. Les condamnés venaient de rentrer, on faisait l’appel, et j’entendais leurs voix répondre successivement à la voix de l’officier inspecteur qui leur jetait leurs noms. À ma droite les marais s’étendaient à perte de vue, à ma gauche la mer couleur de plomb se perdait dans les brumes qui marquaient la côte.
   Je ne voyais dans toute l’île d’autre créature humaine qu’un soldat en faction, immobile à la corne d’un retranchement et se dessinant sur le brouillard. À peine pouvais-je distinguer au loin à l’horizon la petite forteresse, isolée dans la mer entre la terre et l’île, qu’on appelle le pâté. Aucun bruit au large. Aucune voile. Aucun oiseau. Au bas du ciel, au couchant, apparaissait une lune énorme et ronde qui semblait dans ces brumes livides l’empreinte rougie et dédorée de la lune.
   J’avais la mort dans l’âme. Peut-être voyais-je tout à travers mon accablement. Peut-être un autre jour, à une autre heure, aurais-je eu une autre impression. Mais ce soir-là tout était pour moi funèbre et mélancolique. Il me semblait que cette île était un grand cercueil couché dans la mer et que cette lune en était le flambeau.
les classiques de la promenade 12 : Oléron blême, Victor Hugo

Voyage sur la côte Atlantique (récits et témoignages d'écrivains-voyageurs au XIX° siècle) VICTOR HUGO, recueil présenté par Henri Brunetière, éditions PIMENTIAS

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