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les promenades littéraires

récits descriptifs et poétiques autour d'un lieu que l'on connaît et que l'on redécouvre en marchant...

Les classiques de la promenade 7 : Vers l'Île-Tudy

Les classiques de la promenade 7 : Vers l'Île-Tudy

                    Les classiques de la promenade 7

 

 

                     Vers l'Île-Tudy

 

 

                   André Suarès

 

 

 

                     Avant-propos

 

 

Marseillais d’ascendance juive et italienne, Suarès se rêvait breton. Le Livre de l’Émeraude qu’il publie en 1902 est une ode fervente à la Bretagne. Eaux fortes, huiles fauves ou impressionnistes, estampes japonaises, les peintures de paysage se succèdent au gré des marches dans le pays bigouden, coupées de portraits pris sur le vif : un pêcheur, une vieille paysanne, un vagabond, un hobereau... La plume exaltée de Suarès se fait souvent mystique dans la célébration, non sans outrances. Mais ses marines émerveillent toujours. Goûtons celle-ci, brossée à l’occasion d’une régate dans l’estuaire de la rivière de Pont-l’Abbé, près de l’Île-Tudy.
PM
Blonde et bleue, la journée pétille. Le soleil est d’or dans le ciel bleu. La mer à l’ombre est plus bleue que le ciel et verte à la lumière. Elle frise à la brise. Elle rit.
Les yachts sont blancs ; les yachts sont bleus. Ils sont gais et rapides sur la mer verte. Ils sont fins comme des aiguilles. Ils sont longs et semblent n’avoir pas d’épaisseur. Ils trempent dans l’eau jusqu’aux bords, et leurs voiles en paraissent plus vastes. Pareils à des oiseaux qui ne sont qu’ailes, les leurs sont blanches comme la soie, et plus nettes que des habits de fête. Elles s’articulent sur des mâts clairs et fins qu’on dirait de bois précieux. […] Parmi les voiles coquettes, les bateaux des pêcheurs courent aussi, rustiques comme des paysannes dans un bal de marquise en gaze blanche, et les bras nus. Il y a là des lougres (1) plus bruns que l’écorce des vieux chênes, aux voiles triangulaires rouges et noires : leur image dans l’eau est celle d’une nuée d’orage, ou d’un haut goéland, le bec en bas, qui pêche. Il y a de grands canots verts, et d’autres ont la couleur des chaumes : leurs voiles rousses semblent de cuir ; quelques unes sont pareilles à la peau mûre du brugnon, où le jus perce : et d’autres au soleil sont fauves comme le cuir, chaudes comme les belles chevelures […]
Plongé dans le soleil, je suis des yeux l’hirondelle de mer ; je regarde vers l’ouest et le Nord. A l’horizon de terre, je n’ai vu jusque là qu’une longue plage, du sable étincelant noyé dans un miroitement de fumée lumineuse. Une ville paraît surgie dans le mirage. Elle émerge à peine de l’eau. Elle est blanche dans la mer glauque. La clarté de l’été n’est pas plus claire qu’elle. L’ombre grise y brille comme une étoffe légère, au creux d’une statue. C’est une ville de pierre, éclatante comme l’une des Cyclades, transportée dans la mer de Bretagne. Devant la rivière de Pont-l’Abbé et la lagune, faisant face aux ombrages de Loctudy, cette ville d’Orient est mouillée, tel un bateau de pierre blanche. Pas un arbre ; pas un verger ; pas un jardin. On ne distingue, au pied du mur d’enceinte, rempart contre les vagues, qu’une ceinture de rocs énormes, des blocs noirs et une grève couverte de goémons. Les maisons sont pressées les unes sur les autres ; on ne voit point de rues, ni de sentiers. Cet amas de bâtisses a le grain scintillant du granit. Par-dessus les toits, seul et fin comme un doigt qui le détermine, le clocher grêle de l’église…
Aride, ensoleillée et blanche dans la mer verte, c’est Tudy : c’est l’Ile.

 

 

André Suarès, Le Livre de l'Émeraude, éditions Émile-Paul Frères

(1) lougres : petits bâtiments de pêche ou de cabotage à trois mâts.
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