Par la route de Paimboeuf, on allait au Marais-Gautier, Lydie, Claudine et moi, marchant longtemps dans le matin frisquet des fins décembre. Les haies noircies et rouillées reculaient soudain du bord de route. Un vaste champ suivait jusqu’au lointain une procession d’arbres vert sombre. C’était le chemin de l’invisible manoir à l’orée duquel on s’arrêtait. Un fossé biaisant à gauche ouvre encore au fond de ma mémoire son ventre moussu. De toutes les ravines du pays, mes sœurs devaient le croire le seul à abriter les précieux lichens. On les sortait par touffes légères, à peine plus vertes que les poignées de tilleul, d’une odeur doucement terreuse, proche de l’amande, avec juste une pointe acide et qui est devenue pour moi à travers toutes les années l’odeur du froid et de Noël. Le panier d’osier s’emplissait de duvet humide. Il ferait entre les replis du papier chamois et gris rose le sol de ce paysage à grandeur d’enfant qu’on ménageait sur une crédence dans la salle-à-manger. Ce paysage installé en moi à l’aube de mes souvenirs avec son ruisseau en papier argent, son chemin de sciure âcrement odorante, ses rochers, sa montagne, sa caverne habitée des saints personnages roses et bleus. Ce paysage doublement intérieur dont j’essaie chaque année et ce jeudi de décembre encore de retrouver l’enchantement.
Parfois j’entrevois de plus précoces promenades, même du temps où je ne marchais pas encore, porté dans les bras, sur le dos ou roulé en poussette. Mais aucune ne se ritualise ainsi comme les processions de Fête Dieu ou celle qui, justement, menait du grand autel à la paille de la crèche paroissiale l’enfant-Jésus porté sur un brancard par les choristes pendant la messe de minuit. Longue marche vers le nid de mousse dans le froid du matin, retour vers la maison où l’âtre flambait, descente au bas du jardin, sortie par le portail pour aller à côté chez le menuisier Bézias chercher un pot de sciure, montée au grenier pour retrouver la boîte à santons. Des cheminements remuent en moi à une cadence presque sacrée, resserrent autour de la crèche, à l’écart de l’âtre et du sapin, mon intime promenoir de Noël.